Il y a cette idée que
Il y a cette idée que les choses deviennent réelles quand elles sont dites aux autres, quand on les sent prendre forme entre nos dents, quand on les voit s’édifier à l’intérieur du petit espace néanmoins infini devant nos lèvres. Tout à coup, puisque nos pensées flottent en origami vicieux à la face de nos interlocuteurs, il y a cette idée qu’elles existeraient enfin.
Il y a cette idée que les choses deviennent réelles quand les autres ont les traits vaporisés par la surprise, le regard sidéré par nos mots lacrymogènes. Que les choses deviennent réelles quand il y a réaction, quand elles sont entendues, sues et solides à l’oreille.
Pourtant l’état solide est un état de la matière caractérisé par l’absence de liberté entre les atomes. La composition des matières solides est le résultat d’un arrangement, c’est le boulot d’un agent immobilier qui, avant l’énième visite d’un studio miteux, met toutes les chances de son côté en passant l’éponge magique sur des rivières d’humidité.
L’état solide est compact, ordonné, agencé, falsifié donc. Et cela ne me plait pas. L’idée des mots classifiés en particules, offerts dans leur plus élégant costume, l’idée de la forme propre, rigide et dure, de la stabilité des phrases dans le but d’être compris, de vendre leur message, l’idée de construire nos conversations comme des publicités. Cela ne me plait pas. Qu’il y ait des cloisons imposées dans l’écriture des choses audibles, qu’il y ait une langue académique en guise de langage commun.
Laura Vazquez écrit, Quand on force une forme à intégrer un discours, on demande au texte de mourir. Et tout est mort.
Alors je pense que quand on dit aux autres, tout se meurt, soudain tout est mort et en même temps tout vit, tout revit, tout vit pour la première fois, tout commence à vivre ailleurs, quand on dit des choses aux autres, il y a tout et rien, le début et la fin, il y a la mastication des pensées qui, en une seconde, prennent sens dans un son. Mais tout pourrait être autrement.
Nous sommes bien peu bien pauvres bien précaires car nous n’avons que le langage, que cela, que cet ordre-là, et dès lors que nous le perdons, nous paumons tout le reste, nous perdons la compréhension et la corde qui nous maintient aux autres. Alors il faudrait échafauder autre chose, peut-être que cela existe déjà, la poésie ?, ce truc mou et raide et vaporeux et boiteux et vivant, cette arche banale entre l’ample expérience du monde et les paroles serrées.
D’ici là, vu que je n’ai rien inventé, que je me contente de prendre part, de faire pareil, je voudrais ajouter deux choses :
Merci au Queen Classic Surf Festival, à Dia Radio, merci à mes invitées de l’émission Disco Queen d’avoir prononcé des mots à mon oreille, d’avoir témoigné de secousses solides, de les avoir rendu vivantes.
Aussi, je vous proposerais juste de vous hâter dans un cinéma indépendant pour voir le film Put your soul on your hand and walk de Sepideh Farsi. Car, quand même, il y a cette idée que les choses deviennent réelles quand elles sont dites aux autres.