L’envers des corps

Je viens d’une petite ville où les trésors ne se cachent pas dans les arrière-boutiques des bijouteries mais dans l’ancien immeuble Art Deco des Nouvelles Galeries, barricadées derrière des fenêtres en parpaings depuis une bonne décennie. Je viens d’une petite ville où il faut éviter d’avoir son jour de congés le lundi parce que le salon de coiffure, la boulangerie, la poste et le commissariat ont le rideau en fer verrouillé. Je viens d’une petite ville où la rue de la librairie, on l’appelle aussi la rue Jaune. Personne ne sait pourquoi. En contrebas, on y a fait construire des berges le long de la rivière, un large trottoir pour faire croire aux retraités qu’en plus de la préfecture et de la base aérienne, ils ont la plage sans les galets. Mais c’est surtout une promenade de sacs à crottes abandonnés. Je crois que l’ancienne mairesse y est pour quelque chose. C’est elle qui a passé quelques temps derrière les voilures en laine bordeaux du château de l’Elysée et dégusté la timbale de cailles farcies du chef étoilé. Pendant ce temps-là, dans cette même petite ville, mamie faisait réchauffer sa barquette de saumon-purée de brocolis au micro-ondes, Nutri-Score B. Celle qu’elle préfère.

C’est la petite ville d’où je viens, c’est même la petite ville inscrite sur ma carte d’identité. La petite ville où quand j’étais au lycée, ma mère me donnait un billet pour que j’aille acheter mes livres scolaires à la Librairie Caractères. En vrai, j’avais en horreur les lectures imposées, elles portaient le parfum de l’injonction au bonheur, le « goûte, tu vas adorer ! » Sache-le, ce sera toujours dégueulasse si tu m’obliges à manger.

Alors c’est un peu fantastique et irréel de me voir invitée par cette même librairie à exposer quelques photos argentiques aux côtés de l’artiste Agathe Marcé. Pour l’occasion, j’ai écrit un texte. Mais je vous oblige à rien, ni à lire, ni à venir, ni à gouter.

C’est donc officiel : notre exposition « L’envers des corps » est désormais visible jusqu’à fin septembre dans la rue Jaune de Mont de Marsan, juste au-dessus du lavoir et des sacs à caca.

RDV le vendredi 16 septembre 2022 pour une rencontre-lecture à la Librairie Caractères en présence de l’artiste biarrote.

Et de Maminou.

Elisa Routa

Journaliste et écrivaine, Elisa Routa publie depuis plus de 12 ans ses portraits, essais et récits d'aventures dans des magazines francophones et internationaux. Elle sort son premier recueil de chroniques en 2020 aux éditions Tellement. 

Précédent
Précédent

Le bébé obèse au salon littéraire

Suivant
Suivant

Jeu de billes