Le matelas et la gronde

Au jour 18, j’ai la toux qui ne charrie plus rien que le saignement d’égratignures, une barre de fer qui cogne au plancher pelvien comme un voisin contrarié de nature et des traces de boyaux sur un émail à jamais humilié. Ce matin, j’ai débarrassé le matelas de mon poids de grabataire et suis enfin sortie de chez moi.

La langue sous la gouttière - le téton de la terre - j’ai bu tout l’or mouillé. J’aurais aimé aimer mais c’était pire que sucer la chaîne d’un vélo rouillé. Pourtant, à choisir, je préfère les larmes de métal qui creusent les gencives à la présence du rien dans le ventre, à la respiration qui se signale en sifflant, à la fièvre qui dissipe les envies, aux pensées qui s’évanouissent dès qu’elles sont formulées.

Durant plus de deux semaines, j’ai emprunté le corps avachi, incapable, honteux et meurtri de ceux et celles estropiés par le travail ou la vie. Dans la peau d’une vieille dame obligée au repos, allongée en chien de fusil, l’arme encore à droite, j’ai eu à vue leur retraite misérable. Et quoiqu’en dise le roi, il n’existe aucune sieste quand le corps se contorsionne et se plie à chaque chiure. Il n’existe aucun repos quand la ferveur s’extirpe des muscles, quand l’estomac ne veut rien entendre et spasme pour rejeter en vain la douleur qui l’accable. Durant deux semaines aussi ridicules que mémorables, j’ai enduré d’avance tout ce que le peuple rejette ; l’attente sur un bout de matelas, l’agonie sur un canapé usé, l’harassement sur un chiotte qui vivra plus longtemps que vous et moi.

Alors même si cette comparaison est disproportionnée, consciente que la France n’avait pas grand besoin de mon témoignage, et même si cette révolte de réseau social porte la même justesse que le commentaire de Patricia qui, sur Expedia, se dit mécontente des services de l’Aqua Fun Club de Marrakech car « les piscines n’étaient pas chauffées, à part celles de l’intérieur », je vous invite à brandir votre acier le 1er mai. Nous cognerons ensemble le balai du voisin de nature contrarié contre des casseroles Téfal et des poêles bon marché. Car, on le sait désormais, le repos existe uniquement si le corps le permet.

Elisa Routa

Journaliste et écrivaine, Elisa Routa publie depuis plus de 12 ans ses portraits, essais et récits d'aventures dans des magazines francophones et internationaux. Elle sort son premier recueil de chroniques en 2020 aux éditions Tellement. 

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