Je me rappelle l’automne 2023

Je me rappelle
des amis aussi vieux qu’elle
leurs conversations m’ennuyaient
des histoires d’impôts et de garde alternée
sur les photos
ma mère a les boucles noires
qui lui tombent sur le front et autour des oreilles
de larges lunettes rondes et des lèvres pincées
les mêmes yeux et la même gueule
que moi aujourd’hui.

Depuis 39 ans
on fête mon anniversaire la veille de Noël
pas par fétichisme ni par manque de temps
mais le hasard du calendrier
je faisais le poids d’une dinde quand je suis née
c’était le repère soufflé aux absents depuis la maternité
le poids d’une dinde.

Cette année j’ai écrit
beaucoup écrit
dans un lieu-dit du nom de Bel-Air
une résidence d’artistes et d’oliviers à ciel ouvert
un lieu qui dit
une rivière de mots
un torrent de verbes
j’en ai eu des gerçures aux doigts.

La dinde est moins tendre que le poulet
moins sociable que la poule j’ai lu
pourtant je me suis bien entendue
avec les autres colocataires
du poulailler éphémère
La Corée la Chine Poitiers la Normandie
un G7 hors du commun autour d’une cheminée
rien en commun tout en commun.

L’autre matin Angèle m’a regardée de près :
- T’as des plis au bord de l’oreille
- Ce sont des rides j’ai répondu
- C’est comme les arbres elle a dit. On peut compter notre âge. Moi aussi j’en ai ?
- Oui. Mais je ne pense pas que ce soit les mêmes rides que moi.
- Si. Sauf que toi t’es un arbre un peu plus vieux.

Alors voilà ça y est
je suis un arbre un peu plus vieux
un arbre encore vivant
avec des crevasses aux empreintes
des boucles noires qui me tombent sur les rides des oreilles
et les lèvres pincées.
Bonne année.

Elisa Routa

Journaliste et écrivaine, Elisa Routa publie depuis plus de 12 ans ses portraits, essais et récits d'aventures dans des magazines francophones et internationaux. Elle sort son premier recueil de chroniques en 2020 aux éditions Tellement. 

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